- VINCENT (J.-P.)
- VINCENT (J.-P.)VINCENT JEAN-PIERRE (1942- )Né à Paris, Jean-Pierre Vincent fait ses débuts avec Patrice Chéreau en participant au groupe théâtral du lycée Louis-le-Grand. Dès 1966 éclate L’Affaire de la rue de Lourcine , un Labiche iconoclaste. Lorsque la municipalité de Sartrouville souhaite s’attacher une troupe permanente, elle fait appel à Chéreau. Jean-Pierre Vincent le suit. L’expérience dure un an et se solde par des dettes considérables; 1968 attise les conflits, Chéreau doit partir, la troupe se disloque.À Grenoble, Jean-Pierre Vincent assiste à un colloque sur Brecht, il y rencontre un jeune universitaire cinglant et contestataire, Jean Jourdheuil. Leur humour et leurs interrogations s’accordent, ils s’associent. Ils montent en Bourgogne La Noce chez les petits-bourgeois de Brecht, chef-d’œuvre méchant qui retrouve le délire dévastateur des grands burlesques américains. On commence ainsi à parler des «Vincent-Jourdheuil», metteurs en scène et dramaturges au sens allemand du terme, c’est-à-dire dégageant les implications historiques, politiques et philosophiques d’un texte. C’est la première association de ce genre en France. Elle durera sept ans. Vincent-Jourdheuil montent Tambour et trompettes , Le Marquis de Montefosco de Goldoni, une première version de La Cagnotte . Schématiquement, leur style peut ainsi se définir: c’est un jeu démonstratif, appuyé sur le comique de rupture et la critique sociale, et opéré à travers le démontage de textes mineurs. Avec leur première œuvre contemporaine, Capitaine Chelle, capitaine Eçço de Rezvani (1971), le burlesque fait place à un jeu plus concentré. Une deuxième version de La Cagnotte , plus noire et d’ailleurs mal équilibrée, amorce un tournant, et avec La Jungle des villes (1972) commence l’approche de textes complexes comme l’intrusion d’un onirisme révélateur.Vincent-Jourdheuil fondent un collectif. Cette compagnie, dont chaque membre doit assumer, selon sa fonction, l’ensemble du travail, s’associe à la compagnie de ballets du théâtre du Silence et à l’Ensemble de musique vivante pour prendre en main le Palace. Ils y présentent Don Juan et Faust de Grabbe (1973), et de Büchner un Woyzeck (1973) enveloppé des brumes tragiques de la folie. Mais l’argent manque pour supporter les frais d’exploitation d’une salle privée. La compagnie redevient errante. La mécanique du comique agressif est oubliée. Une deuxième version de La Noce chez les petits-bourgeois revendique l’héritage de Karl Valentin, son comique pincé et critique. La Tragédie optimiste fait vivre dans la lumière bleue du souvenir les tableaux allégoriques de la révolution russe. Pour le Jeune Théâtre national, Vincent met en scène En r’venant d’ l’expo (1975) de Jean-Claude Grumberg. En 1975, il est nommé directeur du Théâtre national de Strasbourg (T.N.S.). À cette époque, Jean Jourdheuil se sépare de lui car sa conception du théâtre lui semble incompatible avec les contraintes de l’institution. Jean-Pierre Vincent reconstitue un collectif permanent. Les décisions concernant la programmation et le travail sur les pièces doivent être prises en commun, critiquées en commun avec l’équipe technique et administrative, mais c’est Vincent qui est l’interlocuteur du ministère de tutelle. Il dirige également l’école attachée au théâtre, et son enseignement suit de près les recherches de la troupe, à l’œuvre déjà dans sa première mise en scène en tant que responsable du T.N.S.: Germinal de Michel Deutsch d’après Zola se caractérise, en de longs tableaux silencieux, par le jeu hyperréaliste des acteurs qui ne tournent plus autour de la notion de «personnage» mais se mettent en jeu dans la représentation d’un récit, limitée au cadre strict de la réalité théâtrale.Le collectif révèle des metteurs en scène (André Engel, Michel Deutsch, Dominique Muller). Après un détour au festival d’Aix-en-Provence avec un Don Giovanni trop austère, Jean-Pierre Vincent monte en 1977 un Misanthrope qui, avec toute la violence de la rigueur, s’appuie sur l’analyse de «l’atrabilaire amoureux» effectuée par une Célimène plus intelligente que coquette. Alceste et Célimène sont ici deux victimes d’une société dont le formalisme dénonce l’emprise de l’État. Le spectacle marque, pour la scénographie, le début de sa collaboration avec le peintre Jean-Paul Chambas.En 1981, Vincent monte Le Palais de justice , journée ordinaire d’une chambre de justice avec ses petits vols, ses délinquants, ses désespoirs. Fruits d’une longue observation sur le terrain, l’écriture et le jeu atteignent à la fonctionnalité la plus pure et la plus tragique. En 1982, Jean-Pierre Vincent met en scène avec succès Les Corbeaux de Becque à la Comédie-Française. Jack Lang lui propose en 1983 le poste d’administrateur de la Maison de Molière, poste qu’il accepte en faisant le pari de la réinscrire dans le grand concert créatif du théâtre européen. En trois années, il crée Félicité de Jean Audureau, inscrit Le Balcon de Jean Genet au répertoire, fait venir Klaus Michaël Grüber avec Bérénice , etc. En 1986, libéré de ses fonctions, Jean-Pierre Vincent retrouve l’esprit du théâtre de ses débuts. Le Mariage de Figaro (1986), Le Faiseur de théâtre (1987) de Thomas Bernhard prolongent sa réflexion sur le théâtre comme révélateur de son époque. La même année 1987, Jean-Pierre Vincent monte, à la manière d’une trilogie, Œdipe-Tyran et Œdipe à Colone de Sophocle, et Les Oiseaux d’Aristophane. À partir de 1990, il prend la direction du théâtre des Amandiers de Nanterre, succédant ainsi à Patrice Chéreau.
Encyclopédie Universelle. 2012.